Revue de presse Agent Orange / Du 01 au 15-11-2024
Sélectionnée par Michel Pédoussaut Agent orange : l’ombre de la guerre - chapitre 1 1er novembre 2024 https://lepetitjournal.com/ho-chi-minh/comprendre-vietnam/agent-orange-ombre-guerre-ep1-395328En déclarant « irrecevable » la plainte déposée par Tran To Nga à l’encontre de 14 sociétés américaines, la cour d’appel
Sélectionnée par Michel Pédoussaut
Agent orange : l’ombre de la guerre – chapitre 1
1er novembre 2024
https://lepetitjournal.com/ho-chi-minh/comprendre-vietnam/agent-orange-ombre-guerre-ep1-395328
En déclarant « irrecevable » la plainte déposée par Tran To Nga à l’encontre de 14 sociétés américaines, la cour d’appel de Paris a rouvert une page sombre de l’Histoire et fait prendre conscience au monde entier que la guerre du Vietnam n’était peut-être pas encore tout à fait terminée. Le drame de l’agent orange n’est jamais que l’une des facettes de la guerre menée par les États-Unis au Vietnam. Mais c’est en l’occurrence de guerre chimique qu’il s’agit.
Au printemps prochain, le Vietnam célèbrera comme il se doit le cinquantenaire de sa grande victoire d’avril 1975. En l’espace d’un demi-siècle, le pays ne s’est pas contenté de panser ses blessures, il a pris son destin en main avec une énergie qui laisse pantois et s’est fait une place au soleil, à la mesure de ses ambitions.
Mais l’agent orange, lui, poursuit son œuvre dévastatrice. Aujourd’hui, c’est une quatrième génération, déjà, qui est contaminée, et on estime à 100.000 le nombre d’enfants souffrant de malformations ou maux divers, et sur lesquels l’ombre de la guerre plane encore. Et c’est sans parler des conséquences sur l’environnement.
Alors quid de cet agent orange ? Le Petit journal a voulu rouvrir le dossier et offrir à son lectorat un aperçu aussi exhaustif que possible, en explorant tout aussi bien l’aspect historique et politique de la question que sa dimension froidement scientifique et médicale.
L’agent orange (ainsi appelé, eu égard aux bandes de couleur entourant les fûts dans lesquels il était stocké) est à la base un herbicide puissant, composé à parts égales de deux molécules : l’acide 2,4-dichlorophénoxyacétique (2,4-D) et l’acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique (2,4,5-T).
Découverte dans les années 1940 par des chercheurs britanniques et américains, ces molécules agissent en imitant une hormone de croissance végétale. Pour peu qu’elles soient pulvérisées sur des plantes, elles provoquent une croissance incontrôlée aboutissant à la mort du végétal.
Commercialisés dès 1946, les herbicides conçus à partir de ces fameuses molécules sont largement utilisés à partir des années 1950 : l’agent orange est né. Au départ, son exploitation est strictement agricole, mais il ne faudra pas longtemps aux militaires pour comprendre le parti qu’ils peuvent en tirer et encore moins longtemps aux géants de l’agrochimie (Monsanto, Dow Chemical, entre autres …) pour leur donner satisfaction.
Seveso en Italie toujours contaminée 43 ans après l’explosion industrielle de juillet 1976
Il faudra en revanche attendre 1969 pour que soit admise la présence, dans l’agent orange, de la 2,3,7,8-tétrachlorodibenzo-para-dioxine (TCDD, dite « dioxine de Seveso »). Cette contamination par de la dioxine résulterait d’un mode de production axé sur la grande quantité. Elle varie en fonction des lots et des sociétés productrices.
Il faut savoir que la dioxine est une substance cancérigène et tératogène (produisant des malformations chez les nouveau-nés). Elle provoque des maladies de peau et porte atteinte aux systèmes immunitaire, reproductif et nerveux. En ce qui concerne la TCDD, elle peut être à l’origine de plusieurs sortes de cancers, comme le lymphome non-hodgkinien, la maladie de Hodgkin et la leucémie lymphoïde chronique. Elle est en outre capable de rester longtemps stockée dans les organismes et de se transmettre ainsi de génération en génération.
Une arme biologique
Mais venons-en à l’utilisation de l’agent orange à des fins stratégiques. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, ce n’est pas au Vietnam qu’ont eu lieu les premiers épandages. Ce ne sont pas non plus les Américains qui ont eu les premiers cette idée folle de s’en prendre à la végétation.
Ce sont les Britanniques, appuyés par les Australiens et les Néo-zélandais (Commonwealth oblige), lors de l’insurrection indépendantiste et communiste malaise, c’est-à-dire entre 1952 et 1954.
Dès cette époque, les militaires américains aussi, s’intéressent de près à l’agent orange. Dans les années 1950, des études sont menées à Fort Detrick, qui est un centre biomédical militaire, dans le but avoué de faire de l’agent orange une arme biologique.
Scientifiques dans la base militaire de Fort Detrick – années 1940
Des expérimentations ont lieu aux États-Unis, mais aussi au Canada, à Porto Rico, en Thaïlande et en Corée. C’est néanmoins sur des détenus d’une prison de Philadelphie que sera testée la toxicité de la dioxine.
Le contexte de l’époque fait le reste. Au Sud-Vietnam, les États-Unis portent à bout de bras le régime autoritaire de Ngo Dinh Diem, sorte de république bananière, farouchement anti-communiste, née en 1954 des Accords de Genève.
Sur place, les conseillers militaires américains sont omniprésents et s’il n’est pas encore question d’engagement direct (il faudra attendre 1965), il est en revanche question d’éradiquer la subversion communiste et d’empêcher les maquisards de faire de la jungle un véritable sanctuaire. Et pour les débusquer, quoi de plus efficace qu’un défoliant puissant tel que cet agent orange dont on dit monts et merveilles dans les couloirs du Pentagone ? La tentation est d’autant plus forte que les grandes firmes agrochimiques américaines sont on ne peut mieux disposées à collaborer…
Dès 1959 (présidence Eisenhower), des essais concluants sont menés sur le terrain. Mais c’est en 1961 (John Fitzgerald Kennedy est le nouveau locataire de la Maison Blanche) que la guerre chimique à proprement dite entre dans sa phase active avec un premier épandage le 10 août dans la région de Kontum.
L’opération Ranch Hand
D’abord intitulée Hadès (Hadès, le dieu des morts.), l’opération est rebaptisée Ranch Hand (ouvrier agricole, en français) et gagne en ampleur. Elle atteindra son apogée en 1965, avec la bénédiction du successeur de JFK, Lyndon Johnson, et durera jusqu’en 1971, sous la présidence de Richard Nixon.
Opération Ranch Hand
Dix années, donc. Dix années pendant lesquelles l’armée américaine va pulvériser toute une gamme d’herbicides (des herbicides « arc-en-ciel », dit-on) sur près de 2 millions d’hectares. Le but ? Détruire la couverture forestière et les cultures vivrières utilisées par les troupes nord-vietnamiennes et par les maquisards du Viet Cong.
L’aviation américaine est ainsi été mise à contribution pour arroser les routes, les rivières, les canaux, les rizières et les terres agricoles. Les sources d’eau ne sont pas épargnées, et tant pis si elles sont vitales aux populations locales : les stratèges du Pentagone ne s’embarrassent pas de tels détails.
Variantes (agent rose, agent vert, agent violet, agent blanc et agent bleu) tout aussi nocives.
Au total, les forces américaines vont déverser 80 millions de variantes (agent rose, agent vert, agent violet, agent blanc et agent bleu) tout aussi nocives.litres d’herbicides divers sur le Vietnam, mais aussi sur le Laos et le Cambodge, pays par lesquels transitent les soldats nord-vietnamiens. 20 % des forêts du Sud-Vietnam auraient ainsi été contaminées, de même que 400.000 hectares de terrain agricoles. A lui seul, l’agent orange représente les trois cinquièmes des épandages, le reste n’étant que des variantes (agent rose, agent vert, agent violet, agent blanc et agent bleu) tout aussi nocives.
Agent orange : l’ombre de la guerre – chapitre 2
1er Novembre 2024
https://lepetitjournal.com/ho-chi-minh/comprendre-vietnam/agent-orange-ombre-guerre-ep2-395330
Ce n’est donc qu’à la fin de l’année 1969 que la forte teneur en dioxine de l’agent orange sera révélée et admise. Dès l’année suivante, la Food and drug administration en interdit l’usage aux Etats-Unis. Quant au grand public, il commence à manifester son inquiétude et surtout son indignation.
Dans le cadre de ce dossier thématique sur l’Agent orange, Le Petit Journal souhaite offrir à son lectorat un aperçu aussi exhaustif sur l’aspect historique, politique, scientifique et médical. Retrouvez le premier épisode « Agent orange : l’ombre de la guerre – chapitre 1 ».
La guerre du Vietnam fait du reste l’objet d’une vague de contestation de plus en plus vive, aussi bien aux Etats-Unis où certains vétérans n’hésitent pas à laisser éclater leur amertume au grand jour, que dans le reste du monde.
Les épandages sont proscrits à partir d’avril 1970, aussi bien les épandages à usage agricole que les épandages à usage militaire. La circulation du produit est en outre interdite dans les deux sens, ce qui oblige les militaires américains à traiter le surplus soit par enfouissement, soit par destruction à l’explosif, soit par déversement dans des zones isolées.
En septembre 1971, l’interdiction est finalement levée et l’agent orange encore stocké au Vietnam est renvoyé aux Etats-Unis pour destruction par incinération à haute température. Il faudra néanmoins attendre 1978 pour que les derniers barils soient ainsi liquidés.
Des millions de litres d’agent orange déversés
30 avril 1975. Les soldats nord-vietnamiens s’emparent de Saïgon. Duong Van Minh, le dernier et éphémère président de cette « République du Vietnam » qu’Hanoï a toujours considérée comme une république fantoche, accepte la reddition. Il n’a du reste guère le choix : chef de l’Etat depuis quelques jours à peine, il n’a pas l’étoffe d’un chef. Quant aux rouages de l’Etat, ils ont cessé de fonctionner.
La guerre du Vietnam est donc finie. C’est le Nord qui l’a emporté. Pour les Américains, qui ont soutenu le régime sudiste pendant des décennies, la pilule est amère. Elle l’est d’autant plus que leur départ de la capitale sud-vietnamienne, effectué à la va-vite grâce à un ballet incessant d’hélicoptères, est chaotique à force d’être dramatique, ou dramatique à force d’être chaotique, c’est comme on voudra.
Qu’ abandonnent-ils ainsi, ces Américains qui semblent subitement pris de panique ? Un pays exsangue au terme de 30 années de guerre, où tout est à reconstruire.
Le Vietnam est un vaste champ de ruines, en ce printemps 1975. Les bombes, le napalm, ont bien évidemment laissé une empreinte indélébile, et pour le coup, spectaculaire. Mais il y a aussi l’agent orange, ce défoliant que l’armée américaine a inconsidérément déversé sur la jungle pour en débusquer l’adversaire. sans jamais y parvenir, d’ailleurs.
Cet agent orange est un produit chimique hautement toxique, qui contamine aussi bien les sols dans lesquels il s’infiltre que les êtres humains qui sont en contact avec lui. Il contient notamment de la dioxine, qui est une substance particulièrement nocive et surtout particulièrement persistante.
C’est une véritable bombe à retardement que les Américains laissent derrière eux, au Vietnam, une bombe qui aujourd’hui encore, a des impacts dévastateurs.
Les victimes, elles, demandent réparation
Difficile, à l’heure actuelle, de se prononcer sur le nombre de personnes touchées directement ou indirectement par l’agent orange. Les estimations, selon qu’elles sont américaines ou vietnamiennes, varient entre 2,1 et 4,8 millions de personnes. Ce sont principalement des Vietnamiens, par la force des choses, mais aussi des Laotiens et des Cambodgiens, auxquels il faut ajouter nombre de militaires américains, australiens, canadiens, néo-zélandais et sud-coréens : eux aussi ont été exposés.
Mais pour bien comprendre l’ampleur du désastre, il faut aussi prendre en compte le fait que la dioxine est une molécule très stable, qui reste dans l’environnement. De très fortes concentrations de dioxine ont été observées dans les graisses animales, d’où une contamination de la chaîne alimentaire, mais également dans les sols et les sédiments.
De ce fait, beaucoup d’enfants vietnamiens de l’après-guerre présentent des taux de dioxine anormalement élevés dans l’organisme. Cécité, diabète, cancers de la prostate ou du poumon, malformations congénitales. Les conséquences sont très lourdes. S’agissant de l’apparition de malformations chez les nouveau-nés (beaucoup de cas au Vietnam), le très sérieux International journal of epidemiology est formel quant au lien que l’on peut établir avec l’agent orange.
International journal of epidemiology
Malformations chez les nouveau-nés au Vietnam
Il y a néanmoins des contestataires, et la nocivité de l’agent orange fait encore débat, notamment aux Etats-Unis, où toute une frange de l’échiquier politique cherche à la minimiser. Quant aux géants de l’agrochimie, ils tentent par tous mes moyens de se dérober à leurs responsabilités. Parfois maladroitement. On se souviendra ainsi que dans un article paru le 8 décembre 2006, le quotidien The Guardian révèle que Sir Richard Doll, épidémiologiste et toxicologue réputé et célèbre pour avoir établi le lien entre l’usage du tabac et le cancer du poumon, aurait été sous contrat avec Monsanto et mai 1979 à mai 1986, le temps pour lui d’affirmer qu’il n’y avait pas de relation entre cancer et agent orange.
Un écocide
Des conséquences gravissimes pour les êtres humains, donc, mais pas uniquement.
« toute action généralisée ou systématique qui cause des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel, commise délibérément et en connaissance de cause ».
C’est en ces termes qu’est définie la notion d’écocide, une notion apparue pendant la guerre du Vietnam, pour dénoncer l’usage de l’agent orange.
Le fait est que l’utilisation d’une telle quantité d’herbicide par l’armée américaine aura causé le plus grand écocide du XXe siècle en détruisant, entre 1961 et 1966, 43 % des terres arables et 44 % de la superficie forestière totale du Sud-Vietnam.
Selon un rapport de l’Unesco, les épandages d’agent orange auraient détruit quatre cent mille hectares de terres agricoles, deux millions d’hectares de forêts et cinq cent mille hectares de mangrove, soit 20 % de l’ensemble des forêts sud-vietnamiennes.
Agent orange : l’ombre de la guerre – chapitre 3
14 Novembre 2024
https://lepetitjournal.com/ho-chi-minh/comprendre-vietnam/agent-orange-ombre-guerre-ep3-395329
Les Américains ont perdu la guerre après des millions de litres d’agent orange déversés sur la jungle. Qui doit être tenu pour responsable ? L’Etat fédéral américain ? Les grandes firmes agrochimiques ? Pour les victimes, la réponse est a priori claire : c’est l’Etat fédéral. Sauf que cet Etat fédéral bénéficie de l’immunité pour tout acte commis en temps de guerre. Restent alors les grandes firmes agrochimiques. C’est contre ces dernières que les vétérans américains se retournent pour leur demander réparation et les mettre face à l’écrasante responsabilité d’avoir produit ou commercialisé l’agent orange en le rendant particulièrement toxique, et ce, en parfaite connaissance de cause.
Dans les années 1970, des vétérans américains de la guerre du Vietnam lancent une action collective contre Monsanto
Dans le cadre de ce dossier thématique sur l’Agent orange, Le Petit Journal souhaite offrir à son lectorat un aperçu aussi exhaustif sur l’aspect historique, politique, scientifique et médical. Retrouvez les deux premiers épisodes « Agent orange – chapitre 1« ainsi que « Agent orange – chapitre 2« .
Dès les années 1970, des vétérans américains de la guerre du Vietnam lancent une action collective contre Monsanto et six autres producteurs d’agent orange.
En 1984, Monsanto, Dow chemical et cinq autres entreprises accusées signent un accord à l’amiable avec les associations de vétérans en échange de l’arrêt de toute poursuite. Les vétérans, eux, acceptent cet accord transactionnel pour recevoir les indemnités dont ils ont besoin, mais ils le font de guerre lasse, au sens propre comme au sens figuré. Les firmes agrochimiques, elles, versent la somme de 180 millions de dollars à un fonds de compensation. Presque 40.000 des 68 000 vétérans reçoivent ensuite entre 256 et 12 800 dollars, selon la gravité des cas.
Poursuites judiciaires et dédommagements
Les Etats-Unis n’en ont pourtant pas fini avec l’agent orange puisqu’en 2005, l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange présente un recours collectif contre onze fabricants d’herbicide (dont Dow Chemical et Monsanto) pour crime de guerre et crime contre l’humanité. La première séance du procès a lieu le 1er mars 2005, à New York. 10 jours plus tard, la cour rejette la plainte, en arguant que l’agent orange n’est pas un poison au regard du droit international, et qu’il n’y a donc pas d’interdiction d’utiliser un herbicide.
Dans d’autres pays aussi, on s’active. En Corée du Sud, par exemple, environ 20.000 vétérans du Vietnam vont ainsi porter plainte contre les deux principaux fabricants d’herbicide, Monsanto et Dow chemical. Après avoir perdu en première instance en 2002, ils vont faire appel et obtenir gain de cause le 26 janvier 2006. La justice condamne les deux firmes américaines à verser 62 millions de dollars à 6.800 personnes.
En 2013, la justice sud-coréenne ira jusqu’à reconnaître, par l’intermédiaire de sa Cour suprême, la responsabilité de Monsanto et de Dow chemical dans les maladies de peau développées par les vétérans, en tenant pour établie la « corrélation épidémiologique » avec l’agent orange.
Le combat d’une vie
Mais à elle-seule, une femme va incarner le combat des victimes de l’agent orange. Tran To Nga – c’est son nom – est franco-vietnamienne, aujourd’hui âgée de 82 ans.
Journaliste pendant la guerre du Vietnam, elle est directement contaminée par l’agent orange. Les nombreuses maladies qu’elle développe ensuite lui font rapidement prendre conscience de la gravité de la situation. Aussi décide-t-elle d’intenter un procès à plusieurs multinationales américaines, parmi lesquelles Monsanto et Dow chemical, pour obtenir justice et réparation, aussi bien pour elle-même que pour toutes les victimes dont elle va se faire le porte-étendard.
C’est en France qu’a lieu la procédure, et plus précisément à Evry, au sud de Paris, où les audiences débutent le 25 janvier 2021.
Le tribunal d’Évry, justement, va refuser de statuer sur la responsabilité des multinationales. Il va retenir que ces dernières ont agi « sur ordre et pour le compte de l’État américain, dans l’accomplissement d’un acte de souveraineté » et qu’en conséquence, elles peuvent se prévaloir de « l’immunité de juridiction » reconnue ordinairement aux États étrangers. Cette conclusion est, aujourd’hui encore, largement contestée.
C’est du reste en faisant appel de ce verdict que Tran To Nga a vu sa plainte rejetée une nouvelle fois à la fin du mois d’août dernier (le Petit journal s’en était fait l’écho). Mais affaire à suivre puisqu’elle a décidé de se pourvoir en cassation. « Je me battrai jusqu’à mon dernier souffle », a-t-elle prévenu, misant en cela sur un soutien de plus en plus large au sein de l’opinion publique.
Une mobilisation planétaire
Tran To Nga n’est pas seule dans ce combat, loin s’en faut. Au Vietnam, l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange (V.A.V.A – https://vava.org.vn/) s’emploie à mobiliser le ban et l’arrière ban de la communauté internationale pour venir en aide aux victimes et faire valoir leurs droits. Créée en 2004, c’est avant tout une organisation humanitaire qui gère plusieurs centres de soins et de réhabilitation fonctionnelle, qui travaille à la décontamination des sols et qui prend en charge une partie des traitements médicaux et de l’assurance maladie des victimes. Mais la V.A.V.A offre aussi des bourses d’études et des fournitures scolaires à des enfants de victimes ou des enfants handicapés.
Basé en France, le collectif Vietnam Dioxine (http://vietnamdioxine.org/) regroupe quant à lui des bénévoles et des associations partenaires. Il lutte pour la reconnaissance officielle et les réparations. C’est une association qui a pour but de créer un élan de solidarité vis-à-vis des victimes ; de soutenir ces dernières (y compris financièrement), de contribuer à leur reconnaissance mémorielle, sociétale et judiciaire ; de sensibiliser et d’informer le grand public sur l’agent orange et ses conséquences actuelles au Vietnam ; de soutenir les luttes pour la justice sociale, raciale et environnementale ; et ad finem se constituer partie civile dans toutes les procédures ayant pour requérants des victimes de l’agent orange. Pour sensibiliser le grand public, le collectif organise avec des associations partenaires et des personnalités publiques, des conférences, projections, débats, podcasts, webinaires.
En faisant du 10 août le « jour de l’agent orange », le gouvernement américain s’est acheté une bonne conscience à peu de frais. Au Vietnam, un demi-siècle après la fin de la guerre, les victimes se comptent toujours par milliers.
Tran To Nga elle, poursuit le combat, inlassablement. « Je porte l’espoir de toutes les victimes », nous dit-elle.
« Nos corps empoisonnés » en représentation à Hanoi
14 Novembre 2024
https://lepetitjournal.com/hanoi/nos-corps-empoisonnes-en-representation-hanoi-396674
La pièce Nos Corps Empoisonnés, de Marine Bachelot Nguyen, met en lumière les séquelles de la guerre du Vietnam à travers le parcours bouleversant de Tran To Nga, militante pour les victimes de l’agent orange. Après avoir touché les spectateurs de Ho-Chi-Minh-Ville et Da Nang, cette œuvre poignante investit Hanoï avec l’ambition de sensibiliser la jeune génération vietnamienne à cette mémoire douloureuse.
Après deux représentations à Ho-Chi-Minh-Ville et à Da Nang, la pièce Nos Corps Empoisonnés sera jouée au Lycée Français Alexandre Yersin ce vendredi 15 novembre à Hanoï. Cette œuvre théâtrale, écrite par Marine Bachelot Nguyen, retrace les étapes douloureuses de la guerre du Vietnam à travers les yeux de Tran To Nga, alors une jeune fille. Devenue aujourd’hui militante active pour les victimes de l’agent orange, Tran To Nga souhaite sensibiliser la jeunesse vietnamienne aux sombres réalités de cette période historique. « Notre salle était très intergénérationnelle, avec des anciens combattants de la guerre du Vietnam, des lycéens et lycéennes du lycée Marguerite Duras. Nous avons été très émus et surpris par la qualité de l’écoute du public. Il y avait une véritable émotion dans la salle à l’écoute de cette histoire. Nga était très stressée, car des membres de sa famille et des amis étaient présents. Nous étions toutes très émues », confie la réalisatrice de Nos Corps Empoisonnés.
« La reconnaissance de ceux qui ont vécu cette histoire est essentielle ».
Dans cet esprit de transmission de la mémoire et de sensibilisation, les élèves de divers établissements francophones ont pu poser leurs questions à la troupe. Des ateliers ont également été organisés par les artistes. Parmi les spectateurs se trouvaient d’anciens combattants vietnamiens, créant un moment unique entre réalité et fiction. « La reconnaissance de ceux qui ont vécu cette histoire est essentielle. Ce qui est extraordinaire, c’est que nous avons intégré des vidéos de maquis, etc., et il y a un moment où Angélica danse avec des images de danseuses. Ces danseuses étaient dans la salle ; c’était un moment d’émotion incroyable de voir la pellicule prendre vie », explique Marine Bachelot Nguyen.
Une pièce nourrie d’expériences humaines
Des enregistrements audios en vietnamien sont diffusés pendant la pièce, notamment la voix de Tran To Nga, qui remplace celle de sa mère. « Cela fait de notre œuvre un objet vivant », poursuit Marine Bachelot Nguyen. Durant leur tournée au Vietnam, l’équipe artistique a visité des lieux emblématiques de l’histoire de la guerre, comme les tunnels de Cu Chi. « Être accompagnée de Tran To Nga, recevoir ses explications et ses témoignages, est un privilège inestimable pour une pièce de théâtre. C’est très rare pour une actrice d’être aussi profondément immergée dans l’histoire d’une vie », confie Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné, comédienne incarnant Tran To Nga dans Nos Corps Empoisonnés. « C’était ma première visite au Vietnam, une expérience forte pour découvrir l’histoire du pays directement sur le territoire », ajoute-t-elle.
A gauche Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné et à droite, Marine Bachelot Nguyen.
Marine et Angélica ont également rendu visite aux personnes souffrant de maladies causées par l’agent orange, au centre VAVA. « Ce sont des personnes comme tout le monde, qui rêvent d’une vie digne, et qui, je me permettrais de dire, sont peut-être même extraordinaires par leur énergie et leur joie de vivre. Cela force l’admiration. C’est un immense privilège de pouvoir jouer devant elles et raconter leur propre histoire. C’était déjà très concret en France, où je suivais Tran To Nga au sein du collectif Vietnam Dioxine, mais ici, c’est une autre facette d’elle que je découvre », explique Angélica. « Lorsqu’elle est arrivée au centre des victimes de l’agent orange, j’ai vu à quel point sa présence comptait, la relation unique qu’elle entretenait avec chaque personne, et combien ils étaient heureux de la voir. Une force incroyable circulait entre eux », ajoute-t-elle.