Entre la Chine et Donald Trump, le Vietnam va éprouver sa « stratégie du bambou »
Le Vietnam a, pour l’instant, été le grand gagnant de la bataille commerciale entre la Chine et les Etats-Unis. Les groupes chinois et occidentaux ont massivement investi dans le pays. Mais cette manne, qui se
Le Vietnam a, pour l’instant, été le grand gagnant de la bataille commerciale entre la Chine et les Etats-Unis. Les groupes chinois et occidentaux ont massivement investi dans le pays. Mais cette manne, qui se traduit par des exportations massives vers l’Amérique, risque d’attirer l’attention du nouveau président américain.
C’est Hanoï qui a gagné le premier round du match commercial entre Donald Trump et la Chine. Entre 2017, date de la première entrée du bouillonnant républicain à la Maison-Blanche, et 2023, le Vietnam a enregistré sur son territoire 248 milliards de dollars d’investissements par des entreprises étrangères, dans plus de 19.700 nouveaux projets. Cela représente, selon les données du Bureau général vietnamien des statistiques, une somme équivalente à la totalité des investissements étrangers qui avaient été déclarés, dans le pays asiatique, pendant les trente années qui avaient suivi le lancement de son ouverture économique en 1986.
Cet engouement pour le Vietnam, où la croissance est encore de 6 %, a été alimenté par les multinationales occidentales et asiatiques inquiètes du relèvement des droits de douane imposés aux marchandises « Made in China ». Si les géants du textile ou les équipementiers sportifs, tels Nike ou Adidas, sont présents sur place depuis les années 1990, les fabricants d’électronique taïwanais, coréens – particulièrement Samsung – et japonais les ont suivis en masse.
Sans couper drastiquement leur production en Chine, ils ont étendu leurs capacités d’assemblage au Vietnam pour mettre à l’abri de cette guerre commerciale une partie de leurs marchandises. En 2020, Apple a, par exemple, commencé à déplacer une partie de sa production d’AirPod vers des usines vietnamiennes. Selon les dernières projections de JP Morgan, le Vietnam fabriquera, en 2025, 65 % des AirPod de la firme américaine, 20 % de ses iPad et encore 20 % de ses Apple Watch.
Diversifier les risques
Egalement inquiets pour leurs productions, les groupes chinois, dans l’électronique, la chimie ou le textile, ont activé un mouvement similaire de diversification de leurs risques. Sur les dix premiers mois de 2024, la Chine s’est ainsi imposée comme le deuxième plus gros investisseur étranger au Vietnam, derrière Singapour, qui est également utilisé par des filiales chinoises pour investir, indirectement, en Asie du Sud-Est.
Dans un Vietnam frontalier, facile d’accès par la route ou le rail, les entreprises chinoises bénéficient de coûts salariaux très inférieurs à ceux pratiqués chez elles, d’infrastructures de qualité et d’une ouverture privilégiée vers des marchés clés, le Vietnam ayant déjà conclu 17 grands accords de libre-échange avec des partenaires un peu partout sur la planète. Aujourd’hui, cinq des sept plus grands fabricants de panneaux solaires du Vietnam sont ainsi possédés par des sociétés chinoises.
Pékin encourage ces investissements. Xi Jinping y voit une opportunité pour essayer d’accroître son influence sur une nation avec laquelle il entretient des rapports compliqués. Si le régime de Hanoï reste communiste, il se méfie, pour des raisons historiques, de son grand voisin chinois, refuse tout alignement sur ses intérêts et a même organisé un rapprochement diplomatique avec les Etats-Unis. Son opinion publique reste d’ailleurs très méfiante vis-à-vis d’une Chine qui revendique toujours des territoires vietnamiens en mer de Chine méridionale.
Déficit américain
Dans les prochains mois, Donald Trump risque d’éprouver cette stratégie multilatérale d’équilibre, connue, à Hanoï, sous le nom de « diplomatie du bambou ». Pour l’instant, le futur président américain ne menace pas d’appliquer au Vietnam la hausse de 60 % des droits de douane qu’il veut imposer aux importations chinoises entrant aux Etats-Unis, malgré l’arrivée massive de produits « Made in Vietnam » sur son territoire.
Premier client du pays, les Etats-Unis enregistrent désormais leur troisième plus gros déficit commercial bilatéral avec le Vietnam, derrière la Chine et le Mexique. Cette insolente santé du commerce extérieur vietnamien a d’ailleurs été remarquée par des proches de Donald Trump, notamment son vice-président J.D. Vance.
L’an dernier, l’élu, qui n’était encore que sénateur, avait accusé, dans une lettre à la secrétaire américaine au Commerce, le Vietnam d’aider la Chine à contourner illégalement les barrières commerciales américaines et appelé Washington à réagir fermement. « Le Vietnam va être vulnérable en 2025 à une augmentation des tarifs douaniers de l’administration Trump ou à un examen plus minutieux de ses exportations », prévient, dans sa dernière note sur le sujet, Trinh Nguyen, chez Natixis.
Par Yann Rousseau – Les Echos – 7 janvier 2025