« Ho Chi Minh, homme de paix » par Alain Ruscio, Historien
A l'occasion de la soirée d’hommage, « Ho Chi Minh, homme de Paix et homme de Culture » organisée par la Délégation du Vietnam auprès de l'UNESCO pour les 35 ans de la Résolution 24C/18.65
A l’occasion de la soirée d’hommage, « Ho Chi Minh, homme de Paix et homme de Culture » organisée par la Délégation du Vietnam auprès de l’UNESCO pour les 35 ans de la Résolution 24C/18.65 de l’UNESCO, en présence d’Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO à Paris le 11 octobre 2022
Lorsqu’on invite un historien, réputé spécialiste du Viêt Nam, à une initiative comme celle de ce soir, on attend généralement de lui qu’il retrace « le cadre » chronologique, les enjeux de l’époque, le rôle des acteurs historiques…
Pourtant, ce soir, je souhaite procéder autrement. Je supposerai la biographie de Nguyen Ai Quoc / Ho Chi Minh relativement connue, en tout cas à grands traits, en quoi je ne prends d’ailleurs pas beaucoup de risques, car les études de qualité ne manquent pas et le public de ce soir est averti.
Donc, plutôt qu’un récit de la vie de l’oncle Ho, je vous proposerai quelques réflexions sur une permanence, parmi d’autres, mais celle-ci est centrale, de sa pensée et de son action : Ho Chi Minh, homme de paix.
Affirmer d’emblée ce trait marquant peut sembler un paradoxe.
Car, à bien observer sa vie, on constate qu’il a quasiment toujours été en lutte ouverte, et souvent en guerre avec ceux qui avaient voulu faire plier son peuple :
· de 1911 à 1923 : 12 années de quête, à l’étranger, des voies de la libération nationale
· de 1923 à 1945 : 22 années de stricte clandestinité, durant lesquelles il a été un « commis voyageur » de la Révolution mondiale
· de 1945 à sa mort, en 1969 : 24 nouvelles années à la tête d’un peuple quasiment toujours en guerre
Et pourtant, cet homme qui, de la clandestinité à la présidence de la République, en passant par le maquis, n’a connu que l’affrontement avec l’Occident, a été tout sauf un belliciste.
Trois exemples, trois dates-clés de sa vie : 1918-1920, 1945-1946 et 1954-1956
En 1918, lorsqu’il se fixe en Occident (à Londres, puis à Paris), le jeune Nguyen Ai Quoc n’est en rien l’adversaire déterminé de l’Occident qu’il deviendra plus tard. La notion d’indépendance du Viêt Nam, par exemple, n’est pour lui qu’une échéance relativement lointaine. Si l’on étudie, par exemple, les Revendications du peuple annamite, que le jeune Quoc voulut faire connaître aux délégués réunis à Versailles en 1919, on constate qu’il s’agit d’un texte très minimaliste :
– Amnistie en faveur des condamnés politiques,
– Réforme de la justice
– Liberté de presse et d’opinion
– Liberté d’association et de réunion
– Droits politiques accrus pour les indigènes
Comment répondirent, alors, les gouvernants français ? Par le mépris, la poursuite de la répression, la tentative d’arrestation du jeune Quoc.
Un an plus tard, ce même jeune homme, qui avait compris entre temps que le système colonial n’était pas amendable, devenait communiste, lors du fameux congrès de Tours. Il le serait certes devenu, de toute façon, l’Internationale communiste et le PCF apparaissant alors aux colonisés comme leurs plus sûrs alliés. Mais le fait est là : c’est le système colonial qui a radicalisé le jeune Annamite au regard de feu.
Un quart de siècle plus tard, au lendemain de l’autre guerre mondiale, immédiatement après la proclamation de l’indépendance, que demande Ho Chi Minh à la France ? L’évacuation immédiate ? L’abandon de tout intérêt en Indochine ? Non pas.
Ho et ses camarades tendent au contraire la main aux gouvernements français issus de la Résistance, acceptent la notion d’Union française. D’où le voyage de Ho et de Pham Van Dong en France en 1946. Ils le font certes par calcul : isolés, ils ne peuvent compter ni sur la Chine rouge (les maquis de Mao sont à des milliers de kilomètres au nord et la RPC ne triomphera qu’à l’automne 1949, quatre années plus tard), ni sur l’URSS (Moscou ne reconnaîtra la RDV qu’en janvier 1950). Mais Ho fait partie de ceux qui veulent croire en la possibilité pour la France nouvelle d’évoluer et de ne pas retomber dans ses travers du passé.
On sait ce qu’il advint : la morgue colonialiste, le mépris raciste, l’anticommunisme entrainèrent la IV è République naissante à provoquer, par le meurtrier bombardement de Haiphong, le conflit, qui se transformera peu à peu, côté français, en une sale guerre et, côté vietnamien, comme une guerre de libération nationale.
Franchissons encore dix années. Après Dien Bien Phu, les Vietnamiens signent, à Genève, un accord qui ne reflétait pas la réalité du rapport des forces sur le terrain, mais qui était un compromis imposé par la communauté internationale. Qu’importe : Ho Chi Minh et ses principaux lieutenants, désormais revenus à Hanoi, vont tout faire pour tenter de tirer le maximum de ces accords – dans un premier temps, de faire appliquer la clause de la réunification pacifique par l’organisation d’élections générales.
Tous ceux qui, alors, ont rencontré Ho Chi Minh ont témoigné de sa volonté de paix. Il connaissait trop le prix de la guerre, il avait trop conscience par ailleurs de la fidélité relative – c’est un euphémisme – de Beijing et de Moscou pour ne pas tenter de jouer jusqu’au bout, au-delà peut-être du raisonnable, la carte de la paix. Mais les mois ont passé, et chaque jour la fascisation du régime Diem, la lâcheté de la diplomatie française, l’intervention croissante des États-Unis faisaient reculer la solution pacifique pourtant promise à Genève. Ce n’est, on le sait aujourd’hui, qu’en 1959, qu’un Bureau politique pas du tout réjoui, décida, à Hanoi, de la reprise de la lutte armée au Sud.
1919… 1945… 1954… trois mains tendues par les Vietnamiens… En retour : trois poings fermés de l’Occident, des poings pour frapper, la répression coloniale, la guerre coloniale, puis la guerre impérialiste.
J’avance donc, en conclusion de ce premier point, l’affirmation suivante : Ho Chi Minh, à la tête du pays qui a connu la plus longue guerre du siècle passé, figure à mes yeux au Panthéon des grands hommes de la paix. C’est un paradoxe que j’assume.
Conclusion
Ho Chi Minh, un des grands hommes de son siècle
En lisant des témoignages de ceux qui l’ont rencontré, en parcourant les portraits qu’ont brossés de lui ses principaux biographes – qui n’étaient pas tous ses amis politiques – surgit le sentiment que cet homme était vraiment exceptionnel.
Il le fallait pour, comme il le fit, transformer sa vie en épopée au service de son peuple. Qui aurait pu penser, il y a cent ans, quand ce jeune Vietnamien, si timide, si réservé, débarquant à Marseille, qu’il était porteur du germe plus tard destructeur du système colonial, bien au delà des frontières de son pays, qu’il mènerait ensuite la lutte – une lutte victorieuse dont il ne vit pas le terme, mais dont il était certain – contre la première puissance du monde ?
« Ce sont les masses qui font l’Histoire », avait dit naguère un des maîtres à penser de Ho Chi Minh, Karl Marx. Oui, ce sont les masses… mais quand les hommes d’exception en prennent la tête, les mouvements de l’Histoire en sont singulièrement accélérés.
Alain Ruscio